Témoignage : Lettre d'un adhérent inconnu (ou anonyme)

CREDIT PHOTO LAURENT SAILLY - "JEUNE RESISTANT INCONNU A CHARTRES EN 1943" 
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AVERTISSEMENT DU PRESIDENT PASCAL VIGNE
Parcourant les archives de la section, j’ai retrouvé une lettre d’un membre adhérent au parcours forçant le respect. Cette lettre, hélas, n’est pas signée et n’était pas classée dans un dossier nominatif. Malgré un appel aux mémoires vivantes du bureau, je n’ai pu en retrouver l’auteur. Je vous la recopie infra et qui sait, peut-être que l’un ou l’une d’entre-vous, reconnaitra notre grand ancien.
En espèrant que cette lecture vous touchera et en attendant de vous revoir, prenez bien soin de vous.

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« Beaucoup se sont étonnés et s’étonnent encore peut-être aujourd’hui, que je ne fasse partie d’aucune association d’anciens résistants, d’anciens déportés ou d’ancien combattant, vous allez comprendre.

Il m’a fallu plus de 60 ans pour arriver à parler de ce que j’avais vécu et en rédiger le document correspondant.

En septembre 1943, âgé d’à peine 17 ans, étudiant, je fût contacté pour entrer dans un groupe de résistants. Chartres ou j’habitais étant un nœud routier important, je fût sollicité pour poser des mines sur le trajet des convois allemands en route vers le front de Normandie.

Le 5 juillet 1944, suite à la dénonciation d’un Français, les douze membres de notre réseau furent arrêtés par la Gestapo, nous fument interrogés, emprisonnés, jugés, condamnés à mort, transférés à la prison du cherche-midi puis déportés en Allemagne.

Le 16 août 1944, le train qui nous emmenait en Allemagne stoppa en rase campagne, nous marchâmes pendant 6 kilomètres sous un soleil de plomb, traversâmes la bourgade de Saâcy-sur-Marne où la population avait déposé le long de notre route des récipients plein d’eau que les SS s’empressaient de renverser à grands coups de bottes. A Saâcy, les allemands avaient réussi à reconstituer un train dans lequel nous dûmes monter après nous être totalement dévêtus, ceci afin de réduire les tentatives d’évasion. La conséquence heureuse de ce changement de train fût que les dossiers de la Gestapo furent laissés dans le train précédent.

Le 20 août 1944 nous arrivâmes au camp de concentration de Buchenwald où des Français nous conseillèrent viuvement de déclarer une profession pouvant être utile à l’effort de guerre allemand, ce qui m’a sauvé la vie ainsi que celle de trois de mes camarades sur les douze que nous étions.

A la question posée : profession ?, ayant bien retenu qu’il fallait déclarer une activité qui pouvait être utile à l’effort de guerre allemand, je déclarais que j’étais dessinateur industriel et savais me servir d’une fraiseuse et d’un tour (alors que je n’en avais jamais vu). Mon interlocuteur m’indiqua que j’étais classé comme spécialiste mais je ne suis pas du tout certain qu’il était dupe. Je sus plus tard qu’il s’agissait d’un Français prisonnier fonctionnaire. Je devins le numéro 77903.

Tous les nouveaux déportés arrivant à Buchenwald subissaient une sélection, les déportés juifs (homes, femmes et enfants) et les déportés trop faibles, trop vieux, handicapés ou malades étaient employés dans des camps d’extermination, les autres dans des commandos dont un, le plus tristement célèbre était DORA.

Je fût affecté pendant quelques jours à un commando interne. Ce fût mon premier contact avec la dure vie des déportés qui, s’ils s’arrêtaient de travailler subissaient les coups de « goumi » des Kapos. Le goumi est une matraque formée d’un morceau de tuyau d’arrosage avec un morceau de fer à l’intérieur.»

Le 25 août 1944, le camp de Buchenwald fût bombardé, bilan 364 morts et 1.100 blessés chez les déportés Une bombe incendiaire tomba sur le chêne à l’ombre duquel Goethe venait méditer. Le chêne fût entièrement calciné, ce qui fût interprété comme un mauvais présage pour les Allemands.

Peu de temps après je partis comme commando externe. Nous travaillions sur la base de deux équipes effectuant chacune douze heures consécutives avec une pause de 30 minutes à mi-temps. Périodiquement il y avait permutation entre l’équipe de jour et l’équipe de nuit. Une équipe travaillait 24 heures consécutives et l’autre se reposait 24 heures consécutives.

Nous étions dans ce commando depuis sept mois conscients de notre chance, car sur un effectif de 650 déportés nous n’avions eu qu’un seul décès de maladie. Alors que dans des commandos tels que DORA, durant la même période, c’était plusieurs centaine de morts par mois.

La grande offensive des Armées Américaines et Britanniques ayant reprise, le 23 mars 1945 nous dument rentrer à Buchenwald, puis fument évacués sur Dachau.

Le 7 avril 1945 je fis partie de ce qu’on a appelé Le train de la mort, nous partîmes à pied sur la route qui menait à Weimar. Tout déporté qui s’arrêtait de marcher était immédiatement exécuté.

Le train était composé de 54 wagons. Les déportés étaient dentassés à raison de 100 par wagon. Dans un wagon un détenu s’attaqua à une sentinelle, tous les occupants du wagon furent instantanément exécutés.

Le 19 avril nous arrivâmes à Nammering ou nous restâmes 5 jours qui restèrent gravés dans nos mémoires. 300 cadavres furent incinérés par une partie des déportés, pendant que l’autre creusait une fosse commune ou furent jetés 500 cadavres, les déportés qui ne travaillaient pas assez vite étaient exécutés.

Le train atteignit Dachau le 28 avril. Le commandant SS du camp, qui avait reçu l’ordre de nous exterminer, nous précisa que le seul chemin pour quitter le camp était la fumée du crématorium.

Nous apprîmes que celui qui a été appelé Le train de la mort, ne laissait que 816 survivants sur 5.084.

Le 29 avril 1945 nos libérateurs étaient à l’entrée du camp.

Nous étions li-bé-rés !

Non, nous étions encore prisonniers car nous fument plus de 30.000 déportés à être mis en quarantaine car toutes les ressources en eau du camp avaient été contaminées par le Typhus. Pour éviter que l’épidémie se propage, des sentinelles américaines furent chargées d’empêcher les déportés de s’évader.

Sur les 816 rescapés du Le train de la mort, la moitié mourut dans les deux semaines qui suivirent la libération du camp.

Pour mémoire, en avril 1945, à la libération du camp de Buchenwald il restait environ1.000 enfants encore vivants dans le camp, la France en accueillit 360 dont Elie Wiesel.

Le 8 mai 1945 date de signature de la reddition sans condition de l’Allemagne, je pus écrire à ma famille que j’étais en bonne santé ce qui me paraissait être exact.

Le 14 mai 1945 mon corps qui avait jusque là résisté flanchât. Dans l’après-midi je fis un syncope et une tuberculose pulmonaire fût détectée, 3 jours plus tard ma fièvre dépassa les 40°, les médecins diagnostiquèrent le Typhus. A cette époque il n’existait pas de médicaments contre le Typhus dont la caractéristique était de s’attaquer au système nerveux, ce qui a été la cause de ma surdité.

Le 6 juin, je fus transféré dans un sanatorium Forêt Noire. A mon arrivée je pesais 36 kg, ma paralysie faciale disparaissait mais je devins complétement sourd de l’oreille droite et ma tuberculose fût confirmée. A cette époque, il n’existait aucun médicament, contre le bacille de Koch, j’y laissais 1 poumon et 6 côtes. Il me fallut attendre encore trois années avant de pouvoir rentrer en France puis deux années de convalescence avant que je puisse reprendre mes études.

Sur notre groupe de résistants seuls quatre survécurent.

Pour mes actions dans la résistance et en déportation j’ai reçu :
  • La Médaille militaire
  • La Légion d’Honneur
  • La Croix de Guerre avec Palme.
J’ajouterai que j’ai eu beaucoup de chance dans ma vie :
  • D’abord lorsque j’ai été arrêté par la gestapo, le français qui servait d’interprète me connaissait et il réussit à minimiser mon rôle en insistant sur mon jeune âge, j’ai échappé à la torture, les autres non.
  • Puis quand nous avons du changer de train et que nos dossiers n’ont pas suivi, n’oublions pas que j’étais condamné à mort. En arrivant à Buchenwald quand on m‘a demandé pourquoi j’avais été arrêté j’ai dit que j’avais été pris dans une rafle alors que je sortais du cinéma, invérifiable.
  • Puis quand les américains nous ont libérés de Dachau avant que les allemands aient eu le temps de nous exécuter, il faut noter que 15 jours après la libération du camp de Dachau, j’étais dans les 8 % de rescapés du train de la mort, 92 % étaient morts. »